Mardi ou mercredi, je ne sais plus, je suis rentré très tard de mes consultations. J'ai diné à Paris et lorsque je suis rentré, j'ai retrouvé mon épouse qui regardait une drôle d'émission. Il s'agissait de blancs bien de chez nous, de familles entières, qu'on envoyait dans des tribus aux quatre coins de la planète. Je me suis fait un café sur ma Nespresso et j'ai regardé parce que je trouvais l'expérience curieuse.
Déjà, je trouve ces gens là très courageux ou très bêtes. Moi qui déteste les voyages et les imprévus, je ne me serais pas vu en pleine brousse loin de mon petit confort en train de bouffer des trucs dégueulasses (pire que des escargots !!!), de risquer ma vie en attrapant des maladies bizarres et partageant ma vie avec des gonzes dont je ne parle même pas la langue. S'il y a bien des boulots que je n'aurais jamais piqués, ce sont ceux de Levy-Strauss ou de Jean Rouch ! Idem, j'ai une bonne amie médecin qui rêve de m'emmener faire de l'humanitaire en Afrique. J'ai toujours réussi à décliner poliment son invitation au motif que la psycho, ça ne s'exporte pas du tout et je m'en tire en lui lâchant un peu de thunes pour son assoc' ! Éventuellement dans le genre exotique, je me vois bien passer une petite semaine sur l'ïle d'Arros parce que côté confort y'a tout ce qu'il faut et que Mamie Bettencourt paye bien. C'est pas que j'aie pas de coeur, c'est que je n'aime pas perdre mes habitudes !
En plus moi qui suis du genre prosaïque, je ne me vois pas arrivant d'un pays, le mien, où le tracteur existe et permet de labourer des tas d'hectares en une journée, dans un autre patelin ou je vais suer sang et eau au cul d'une charrue tirée par un bœuf malingre pour travailler mille mètres carrés à la journée et revenir le dos cassé. Je ne vois pas la logique de faire plus mal et avec plus de peine ce que l'on fait bien et sans se casser le cul dans une cabine avec air climatisé et CD.
En gros celui qui voudra m'intégrer dans un trip ethnique super authentique, arrivera sans doute à me faire danser couvert de peintures tribales avec une plume dans le cul parce qu'après tout , s'agissant de coutumes, ce n'est pas pire ni plus critiquable que ce que je fais dans une soirée ordinaire, mais il ne me fera pas renoncer à l'électricité, à l'eau courante et au wifi ! A la limite, dans une tribu
faouine, je pense que je m'habituerai bien à la Mirabelle et à la quiche.
Je regardais donc benoîtement cette émission dans laquelle on doit sans doute prendre conscience qu'on est que des
salauds d'occidentaux dégénérés et pollueurs et que c'est les
zôtres qui sont dans la vérité vraie, quand j'ai assisté à une curieuse scène.
Un mec français de chez français, un "de souche" comme on dit maintenant au pays du communautarisme, un bien plus français que moi qui suis né à Turin, s'escrimait à mériter le respect d'un chef d'une tribu papou. L'idée c'est qu'il fallait protéger un potager d'une horde de cochons sauvages venus bouffer les plantations. Alors le chef pas con s'est dit qu'il fallait mettre une clôture de bois qu'il faudrait en plus doubler par une tranchée. Et hop, les voici partis, le chef et mon compatriote pour faire le boulot.
Et là, je vois le mec français s'acharner comme un débile pour faire la tranchée la plus profonde possible. Si il y avait eu des éléphants en Papouasie, nul doute qu'ils auraient pu tomber dans le trou tellement le gars s'en donnait à cœur joie. Même le chef papou qui était pourtant du genre balèze n'en revenait pas de le voir bosser autant. Il faut dire que si on avait reçu le chef papou en France, je suppose qu'on l'aurait installé dans un
five stars sans l'obliger à trimer comme un galérien. Et puis, je ne m'imagine pas le chef papou assez con pour faire quinze mille bornes et bosser gratuitement pour nous. Et là, notre occidental coupable y allait comme une bête, trimant comme un âne pour faire sa tranchée en plein cagnard au risque de se péter l'aorte.
Le plus rigolo c'est que sa petite famille, à savoir sa femme et sa gosse, n'en revenait pas et lui reprochait de ne plus passer un seul instant avec eux. Le mec s'en foutait, tout obnubilé qu'il était par son désir de plaire au chef papou. Putain, moi qui ne suis pas un fana de psychanalyse, j'assistais en direct à un gros transfert dans lequel le chef papou devenait le papa symbolique de ce pauvre type !
A la fin de l'émission, le chef papou assez psychologue, sentait même l'histoire tourner au vinaigre et faisait tout pour que le gonze passe plus de temps en famille en leur attribuant une case commune. Mais le mec n'en voulait pas parce qu'il avait décidé que ce n'est pas parce qu'il était originaire du Cantal (ou du Val de Marne) qu'il ferait un plus mauvais papou que les autres ! Et comme la tradition papou veut qu'il existe une maison pour les hommes et une autre pour les femmes qui vivent séparés, le mec voulait à tout prix rester dans la maison des hommes. Le processus sectaire était en marche et le papou en chef devenait une sorte de grand gourou nimbé de pouvoirs surnaturels pour lequel le mec se serait fait tuer pourvu qu'il l'accepte. Tout dans ses actes criait "Papa Papou aime moi, dis moi que je suis quelqu'un de bien et que je mérite de vivre". Moi si j'avais été un papou facétieux, j'aurais fait croire au mec qu'un des rites de passage était de se faire mettre par un grand singe et j'aurais bien rigolé en voyant de naze offrant son cul au primate ! Mais le chef papou bien plus sage que je ne le suis, a voulu protéger l'intégrité psychique du français et n'a pas voulu sombrer dans la gaudriole.
Si je parlais papou, j'aurais pris un zing pour m'entretenir avec le chef et lui expliquer que chez nous, la détestation de soi était devenue tellement forte qu'il y a des tas de mecs paumés comme lui, que se serait peut-être une bonne idée de créer un stage pseudo-mystique d'initiation à la "papouitude" pour petits blancs déracinés. Lui il gère le bizness là-bas et on fait part à deux. sur qu'en deux trois stages, il aura de quoi se payer une pelleteuse et ne cassera plus le tronc à creuser ses tranchées manuellement. En plus, côté frais, à part le billet d'avion et les brochures, pour le reste, les cases ne coûtent pas cher à construire. Sinon pour les paumés de ce genre, il y a aussi le Prozac qui doit marcher mais comme je ne suis pas actionnaire chez Lily, ni médecin, cette option ne me rapporterait pas une thune.
Au delà de l'aspect tragico-comique de l'histoire, ce qui était rigolo c'était de vérifier que le besoin d'appartenance était sans doute en œuvre chez ce pauvre gars dont je ne connais pas la vie. Dans sa
célèbre pyramide, Maslow édicte que le besoin d'appartenance fait partie des besoins sociaux juste après les besoins physiologiques et les besoins de sécurité.
Le besoin d’appartenance correspond à la nécessité de se sentir intégré à un groupe social. Il peut être satisfait par un processus d’adhésion (association, activité professionnelle,..) ou par des symboles d’appartenance (téléphone mobile, vacances,...). La très grande majorité des individus ne pourrait pas vivre sans autrui, les expériences de solitudes montrent bien les désordres psychoaffectif, comportemental auxquels on expose un individu esseulé trop longtemps. La privation d'autrui chez l'être humain est du même ordre que la privation de sommeil trop longtemps, elle tend à faire devenir folle la personne qui s'y trouve plongée. Les peines d'isolements, mitard ou autre, font partie des peines les plus dures qui soient, et sans doute les plus dangereuses pour un individu. D'ailleurs, une des critiques de le pyramide de Maslow est que ce besoin d'appartenance semblerait tout aussi vital à l'être humain que les besoins physiologiques et de sécurité parce que nous sommes une espèce grégaire.
Manifestement, soit quelque chose n'allait pas dans la vie de ce mec, qui vivait peut-être tout seul et isolé soit c'est la société dans laquelle nous vivons qui va mal. Personnellement, je pencherai plutôt pour la seconde solution. Tout dans les mots d'ordre de l'était centralisateur et planificateur tend à éradiquer ce qu'il ne contrôle pas afin que nous devenions juste de bons citoyens.
Sans doute que le bon citoyen vu par nos démocraties occidentales, est un sujet qui vote bien, consomme bien, ne pollue pas, ne fume pas, ne va pas au bistro sauf pour consommer un smoothie, aime la terre entière sauf ceux que l'état lui dit de détester selon les modes et les conflits du temps. Atomisé, aussi perdu et anonyme qu'un grain de sable sur une plage, l'individu a de plus en plus de mal à satisfaire son besoin d'appartenance. Pour la plupart des gens, les dégâts ne sont pas trop importants. On se débrouille, on bricole pour récréer cette appartenance. Un club de foot, un bistro favori, un blog, autant de bidouilles permettant de tisser du lien social malgré l'époque pourrie, parfois agrémenté d'antidépresseurs ou d'anxiolytiques que l'état fournit gratuitement à société pour arrondir les angles quand ça va moins bien, et le tour est joué. Pour le reste, la société n'intègre plus mais désintègre totalement.
Et puis, il y en a d'autres pour qui, le processus s'est enrayé. Et sans doute que ceux-là se retrouvent à creuser des trous en plein cagnard au milieu de nulle part en espérant être acceptés par une une communauté lointaine avec laquelle ils n'avaient pourtant aucun lien. Dans d'autres cas, on peut aussi entrer dans un gang mais le processus reste le même.
On aurait pu faire une émission "Bienvenue dans mon bistro" ou tout aurait été comme avant du temps où l'on avait l'illusion de la liberté. On aurait bu, fumé des clopes, parcouru et commenté la presse locale, rigolé et raconté des conneries. On aurait risqué la cirrhose et le cancer du poumon en disant que c'était con mais qu'il fallait bien vivre vaille que vaille. Mais ça c'était avant.
Putain d'époque.